Le
Nouvelliste | Publié le : mardi 23 octobre 2012
Une perspective de révision équitable des conditions de travail
des enseignants aux différents niveaux ou ordres d'enseignement
Auteur:Par Kénold
MOREAU, Ph.D., M.A., B.A. Éducation comparée Administration prospective
Politiques de l'éducation
Contexte (1ère Partie)
- État de l’éducation en Haïti
Le système éducatif haïtien est partagé entre le secteur public et
le secteur privé. Celui-ci dispose de 1957 écoles sur un total national de 2
148. Ainsi 91% des écoles du 3e cycle et du secondaire appartiennent
au secteur non public. Ces 2148 écoles du 3e cycle et du secondaire
réunissent un effectif de 430 720 élèves des deux sexes sur un effectif
national de 573 436 élèves.
Le secteur privé contrôle donc 75% des effectifs de ce
sous-secteur d’enseignement. Dans les effectifs de ce secteur, les filles sont
légèrement majoritaires avec 51% soit 218 456 élèves contre 212 264 garçons
(49%).
En répartissant ces effectifs par année d’étude et par sexe, il
résulte, en nombre absolu et en pourcentage, que la participation des filles
est égale ou supérieure à celle des garçons.
Le secteur privé réalise un plus gros effort en faveur de la
participation accrue des filles dans le système d’enseignement haïtien en
général et dans l’enseignement secondaire en particulier. Mais l’effort déployé
par l’État dans le même sens, quoique minime en apparence, ne devrait pas être
sous-estimé. Depuis les années 1980 et davantage après la conférence mondiale
sur l’éducation, pour tous tenue à Jomtien (en Thaïlande), les réformes de
l’éducation initiées et poursuivies par l’État jusqu’à nos jours, orientent,
encouragent les efforts et suscitent en quelque sorte cette synergie développée
par les parents d’élèves et le secteur non public d’enseignement.
Mais il demeure qu’environ 1 500 000 enfants d’âge préscolaire ne
fréquentent aucun centre éducatif. Environ 500 000 enfants d’âge scolaire ne
sont accueillis dans aucune école fondamentale.
L’enseignement fondamental du troisième cycle (6e à 4e
secondaire) et l’enseignement secondaire (troisième à philo) réunissent 573 436
élèves soit un écart de 1 531 139 élèves par rapport à l’enseignement
fondamental (enseignement primaire) dont l’effectif est de 2 104 575.
Les diagnostics du système éducatif haïtien, publiés bien avant le
séisme dévastateur du 12 janvier 2010 qui a particulièrement affecté l’univers
d’enseignement dans le pays, principalement dans les départements de l’Ouest et
du Sud-Est, ont souvent mis l’accent sur deux sortes de clivage qui limitent de
façon singulière la pertinence de l’enseignement dispensé aussi bien au niveau
général qu’au niveau technique et de la formation professionnelle. Par exemple
:
(1) La dichotomie enseignement technique et
professionnel/enseignement général;
(2) Le clivage entre l’enseignement technique et la formation
professionnelle : absence de complémentarité et d’articulation entre la
formation initiale et la formation continue, caractère trop scolaire ou
diplômant;
(3) Le clivage entre le dispositif formel de formation et le
système d’apprentissage en entreprise : absence quasi totale de relation et de
complémentarité, notamment en matière de préparation à l’insertion
professionnelle.
Cette situation peut s’attribuer à la faible capacité du
dispositif d’un système scolaire pas du tout ou peu orienté, à la faible
capacité aussi du dispositif de l’enseignement technique et de la formation
professionnelle à identifier les besoins par rapport au marché de l’emploi, à
programmer, à planifier, à exécuter et à suivre les enseignements et les
formations aux divers niveaux, en assurant une utilisation judicieuse des
ressources des diverses composantes du système d’enseignement et de formation.
Dans un contexte de mise en œuvre de la politique d’éducation et
de formation pour la reconstruction d’Haïti, il conviendrait de dynamiser les
systèmes et sous-systèmes d’enseignement et de formation par l’amélioration de
leur qualité et la diversification de l’offre en vue d’une meilleure adéquation
aux besoins de l’économie, du social et de la culture.
Cette diversification est tout aussi nécessaire dans la condition
enseignante car, actuellement, il ne se constate pas de grande diversité de
situations chez les enseignants haïtiens. Cette diversification est d’autant
moins apparente dans les pratiques, dans les conditions d’exercice voire dans
les approches du métier d’enseignant à tous les ordres d’enseignement.
Dans la perspective de dynamisation des systèmes et sous-systèmes
d’enseignement et de formation en vue de la reconstruction du pays,
l’enseignant/l’enseignante compétent (e), par sa formation, son expérience et
son engagement, a un rôle déterminant à jouer, à quelque ordre d’enseignement
qu’il œuvre.
Or, actuellement, en Haïti, la qualité de l’éducation laisse
beaucoup à désirer. Cela est dû en grande partie à la situation des enseignants
et éducateurs à tous les niveaux, comme l’indiquent les réalités décrites
ci-dessous.
Condition enseignante
La situation des enseignants en Haïti
En Haïti comme ailleurs, le rôle de l’enseignant (e) est bien
perçu. Nul n’ignore qu’un enseignant qualifié constitue avec d’autres de ses
collègues la pierre angulaire d’un système éducatif efficace. L’enseignement
fait partie des professions extrêmement gratifiantes. Cependant, en Haïti, ce
métier perd de plus en plus de son prestige en raison, d’une part, du
traitement qui est réservé aux enseignants, d’autre part au manque de
qualification qui caractérise la plupart de ceux qui l’exercent.
En 1998, le Ministère de l’Éducation nationale a introduit un régime
d’assurance maladie en faveur des enseignants. Plus de douze ans après,
l’application de cette importante mesure souffre d’un grand défaut
d’application. Actuellement, un enseignant diplômé touche, quelle que soit son
ancienneté dans la carrière, pas plus de 5 000 gourdes (125 dollars américains)
comme salaire net par mois. Environ 80% de tout le personnel de l’enseignement
fondamental, n’ont aucune qualité exigée pour exercer la profession
enseignante. Avec un tel salaire de misère, l’enseignant haïtien en général est
un citoyen instruit, qui vit en dessous du seuil de la pauvreté, aux prises à
des calamités de toutes sortes, en l’occurrence, la faim, la maladie, privé de
logement et des soins primaires et absolument incapable de subvenir aux besoins
les plus élémentaires de sa famille. C’est donc un personnel complètement
démotivé et frustré.
Au niveau du secondaire
A ce niveau, il est souvent dénoncé un certain blocage
occasionnant un déficit de rendement. Cela est dû essentiellement au fait que
les professeurs ne dispensent, pour la plupart, qu'un ou deux cours par
semaine. Ainsi passent-ils la majeure partie de leur temps loin de leurs
élèves, hors de l’établissement où ils sont affectés. Ceux qui sont des
titulaires de l’établissement, responsables de plus de deux cours, ne restent
sur place que le temps de ces cours. Il faut dire aussi que les emplois du
temps sont conçus, par compromis avec l’administration, pour limiter le temps
de présence des enseignants dans l’établissement. D’ailleurs, très peu de ces
professeurs ont la qualification et les compétences requises pour dispenser les
cours de leur charge. Certes, ce sont, pour la plupart, des universitaires, non
des normaliens ; des vendeurs de cours, le maximum possible, aux lycées et
écoles secondaires de la place, situés dans le même rayon, minimisant ainsi les
temps de déplacement, bousculant les élèves afin de ménager du temps pour
accumuler des heures payées comme un «per diem». La conséquence de tout
cela est que les élèves ne sont pas encadrés, les cours sont bâclés et le
résultat est comparable à rien. Tout cela est dû au fait que la plupart des
professeurs au niveau secondaire n’ont pas de statut et ne reçoivent qu’une
pitance comme salaire, sans aucun avantage social.
Au niveau de l’enseignement technique et la formation
professionnelle
Dans l’enseignement technique et la formation professionnelle,la
qualité de l’enseignement laisse autant à désirer si tant est que les
professeurs ne bénéficient d’aucun système de formation continue et les moyens
d’enseignement sont en général rares et souvent inexistants. De surcroît, les
services préposés au contrôle de la qualité de la formation dispensée sont
depuis longtemps inopérants. Même dans les établissements publics, le contrôle
de l’État laisse à désirer.
En général, l’enseignement technique et professionnel ne répond
pas encore à sa mission première et légitime qui consiste à préparer leurs
clientèles à la vie active en les dotant d’une qualification mesurée en
fonction des besoins de la main-d’œuvre. Car, l’adaptabilité et la productivité
de la main-d’œuvre sont les principaux objectifs que devrait viser et atteindre
le secteur technique et professionnel pour doter les travailleurs spécialisés
et les techniciens de la qualification indispensable à l’amélioration de leurs
conditions de vie et à leur contribution effective au développement économique
et social du pays.
Bref, la condition enseignante en Haïti est actuellement
caractérisée par :
1o) le manque de formation générale et technique (le manque de
qualification) des enseignants pour accomplir les tâches qui leur sont
dévolues;
2o) le bas niveau de salaire;
3o) le manque de motivation pour améliorer la qualité de
l’enseignement dispensé;
4o) l’insécurité caractérisée d’une part, par le mauvais
comportement et la démotivation des élèves (perturbation des cours), d’autre
part, par un environnement physique scolaire inadéquat;
5o) la carence de matériel didactique;
6o) le retard dans le paiement du bas salaire;
7o) l’éloignement par rapport au lieu de travail non compensé par
l’attribution de transport;
8o) les mauvaises relations de travail.
9o) le stress permanent comme conséquence des anomalies énumérées
aux points 1 à 8 ci-dessus.
Autant de critères d’insatisfaction à la tâche d’enseignement en
Haïti.
LA CONDITION ENSEIGNANTE, UN PROJET SOUHAITABLE
L'un des objectifs du millénaire est l'Éducation pour tous (EPT)
dans le monde en l`an 2015. En Haïti, l'État préconise la scolarisation
universelle. L'une des conditions pour atteindre ce louable objectif est de
concevoir et de mettre en œuvre, effectivement, un projet d'amélioration de la
(des) condition (s) enseignante (s) comme mesure indispensable
d’accompagnement. Car, le succès de tout programme de scolarisation universelle
dépend grandement de la qualité et de la motivation des enseignants à tous les
niveaux du processus.
Objectifs de ce projet
Les principaux objectifs de ce projet sont de:
1o) produire une évaluation en profondeur des conditions de
travail du personnel enseignant, du personnel de gestion scolaire, tenant
compte de leur comportement, de leur traitement et de leur rendement;
2o) formuler des recommandations en vue d’une révision équitable
de leurs conditions de travail favorisant leur rétention, leur rendement
optimal et le renouvellement du personnel qualifié.
Cadre conceptuel de la condition enseignante
Le principe à la base de ce projet s’inspire de celui de
l’Organisation internationale du travail (OIT) qui, à travers son Bureau
international du travail (BIT), a émis à peu près ceci :
A chaque poste de travail donné, correspond un niveau de
compétence donné, induisant un niveau de salaire.
Selon l’Unesco (octobre 1966) « le mot enseignant désigne
toutes personnes qui, dans les écoles, ont charge de l’éducation des élèves».
Elle définit le mot «condition» appliqué aux enseignants comme désignant à la
fois la position qu’on leur reconnaît dans la société, selon le degré de
considération attachée à l’importance de leur fonction, ainsi qu’à leur
compétence, et les conditions de travail, la rémunération et les autres
avantages matériels dont ils devraient bénéficier, comparés à ceux d’autres
professions.
Le champ d’application concernant la condition du personnel
enseignant, dont les principaux critères de satisfaction sont indiqués
ci-dessus et détaillés plus loin dans ce texte, s'applique à tous les
enseignants oeuvrant dans les établissements publics ou privés d’éducation
préscolaire (écoles maternelles et jardins d’enfants), d’enseignement
fondamental, secondaire ou moyen, général, technique, professionnel ou
artistique.
Parmi les principes directeurs universellement admis et énoncés
par l’Unesco°, il convient de noter :
1o) Il devrait être reconnu que le progrès de l’enseignement
dépend dans une grande mesure des qualifications, de la compétence du corps
enseignant, ainsi que des qualités humaines, pédagogiques et professionnelles
de chacun de ses membres;
2o) La condition des enseignants devrait être à la mesure des
besoins en matière d’éducation, compte tenu des buts et objectifs à atteindre
dans ce domaine. Afin que ces buts et objectifs soient atteints, il faut que
les enseignants bénéficient d’une juste condition, et que la profession
enseignante soit entourée de la considération publique qu’elle mérite ;
3o) L’enseignement devrait être considéré comme une profession
dont les membres assurent un service public; cette profession exige des
enseignants non seulement des connaissances approfondies et des compétences
particulières, acquises et entretenues au prix d’études rigoureuses et
continues, mais aussi un sens des responsabilités personnelles et collectives
qu’ils assument pour l’éducation et le bien-être des élèves dont ils ont la
charge.
4o) La formation et l’emploi des enseignants ne devraient donner
lieu à aucune forme de discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe,
la religion, les opinions politiques, l’origine nationale ou sociale ou la
condition économique.
5o) Les conditions de travail des enseignants devraient être de
nature à favoriser au maximum l’efficacité de l’enseignement et permettre aux
enseignants de se consacrer pleinement à leurs tâches professionnelles.
6o) Il convient de reconnaître que les organisations d’enseignants
peuvent contribuer grandement au progrès de l’éducation et qu’en conséquence elles
devraient être associées à l’élaboration de la politique scolaire.
Il convient non seulement d’évaluer régulièrement le rendement de
l’enseignant, mais aussi d’examiner périodiquement le degré de sa satisfaction
au travail, en tenant compte des critères bien précis. Car, un enseignement
efficace est indispensable pour améliorer les résultats des élèves et réduire
les écarts de rendement.
Le système d’évaluation du rendement de l’enseignant et de
l’enseignante fournit à celui-ci/celle-ci des éléments utiles, non seulement à
l’amélioration de l’apprentissage mais aussi au développement professionnel.
L’amélioration continue de la condition enseignante constitue une
reconnaissance de la nécessité de développer et de répandre un enseignement
général et un enseignement technique et professionnel de qualité, en vue de
tirer pleinement parti de toutes les aptitudes et ressources intellectuelles
existantes, condition nécessaire à la promotion des valeurs morales et
culturelles ainsi qu’à un progrès économique et social continu.
____________
°UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la
science et la culture
Principaux critères de satisfaction à la fonction enseignante
Les recherches sur la condition enseignante font ressortir les
principaux critères de satisfaction des enseignants et des enseignantes en
s’arrêtant particulièrement sur :
l'effectif des classes
la disponibilité d’un personnel auxiliaire
la disponibilité d’auxiliaires d’enseignement
la durée du travail des enseignants
les congés payés annuels
les congés d’études
les congés spéciaux
les congés de maladie ou de maternité
les échanges d’enseignants
les bâtiments scolaires
les dispositions spéciales applicables aux enseignants dans les
régions rurales ou éloignées
le traitement des enseignants
la sécurité sociale
Les critères énumérés ci-dessus constituent des conditions de base
pour la satisfaction à la fonction enseignante. Ce sont également des
conditions minimales qui contribuent à l’efficacité de l’enseignement.